Dans sa chronique du 16 février sur Radio Notre-Dame, le P. Christophe partant de l'Evangile du jour (le Fils prodigue) a évoqué le retournement vers l'intérieur. Le texte est ci-dessous.
Dans l’Évangile de ce jour, celui du Fils prodigue, dans Luc 15, 11-32, le tournant décisif a lieu lorsque le fils égaré prend conscience de sa misère et par contrecoup de ce qu’il a perdu. Les choses deviennent alors très claires pour lui. Le moment précis de ce retournement est ainsi exprimé : « Rentrant alors en lui-même, il se dit ». Ce court passage est capital et nous indique toute une démarche d’intériorité. Le verbe grec utilisé a le sens de venir, il nous montre une action, en l’occurrence un déplacement vers l’intérieur. C’est le préalable indispensable au retour à la maison du père, image du royaume céleste perdu.
Il y a véritablement, pour celui qui était perdu, un éveil. L’on pense à la phrase de l’apôtre Paul dans l’épître aux Ephésiens (5, 14) : « Eveille-toi, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et sur toi le Christ resplendira. » Le fils accompli une ascèse. Il comprend sa situation, son malheur causé par son aveuglement, il est animé par le repentir et manifeste une véritable humilité. C’est pourquoi, bien que loin, son père le voit et arrive encore plus vite pour le retrouver, il court dit le texte.
Nous souhaitons nous arrêter ici quelques instants sur ce mouvement de retournement vers l’intérieur, cette métanoïa. C’est là que tout bascule. Celui qui était dans le désespoir, dans une voie de perdition, au bout de son illusion, trouve le chemin qui sauve et la force de le parcourir.
Plus que jamais aujourd’hui, il s’agit d’un très grand et difficile défi, tant il est profondément vrai que tout est fait pour nous attirer à l’extérieur de nous-mêmes. Selon une expression classique aujourd’hui, très révélatrice, véritable impératif social à la mode, il faut « s’éclater », c’est-à-dire s’éparpiller à la périphérie, dans une périphérie toujours plus lointaine et extérieure à nous-mêmes. On ne saurait être plus éloquent !
C’est exactement le contraire que prône l’Évangile : se retrouver soi-même pour aller authentiquement vers l’autre.
Mais ce retour à soi-même est parfois mal compris. Il ne s’agit pas d’un questionnement mental, même si il peut aussi s’avérer utile. Les Pères ascètes nous ont enseigné à faire attention aux pensées et à en rester maître. Car elles-mêmes peuvent entraîner une déviation du retour sur soi-même. Non pas que la pensée soit inutile, mais elle peut aussi être une autre illusion et, pour tout dire, elle l’est souvent. Dans un moment de reprise en main de soi-même, les pensées peuvent même être très nombreuses, tourbillonnantes, obsédantes, souvent désespérantes. Dans ce cas, elles font écran dans la relation aux autres et au monde et constituent vite d’autres illusions.
Il est important de dire qu’il est possible de combattre et de mettre de côté, avant de les réduire, ces pensées, pour les empêcher de nous dominer. L’être humain a ce pouvoir, mais, finalement, beaucoup trop de personnes l’ignorent, et même en le sachant, il faut très régulièrement se le rappeler.
Aller à l’intérieur de soi-même donc, comme le Fils prodigue, ne signifie pas penser beaucoup, mais entrer en relation avec son être profond qui lui-même a la capacité de communiquer avec Dieu car, nous le rapporte l’évangéliste Matthieu (6,6) « ton Père est là dans le secret ». On désigne cet espace intérieur par le cœur, ou l’âme, tandis que l’esprit est souvent compris par les Pères ascètes comme la pointe fine de l’âme en relation directe avec Dieu.
Une prière attentive à ce qui est exprimé et à ce que cela suscite dans l’être, est le vecteur de cet approfondissement spirituel. Elle est non pas une pensée, mais perception de l’enseignement que donne l’Esprit Saint selon notre mesure. Alors seulement s’ouvrent véritablement des portes et des chemins, incroyable de fécondité, car l’âme est revêtue de celui qui fait « toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21, 5).